Analyser et combattre la systématisation des campagnes électorales mafieuses

En 1995, Corbeil-Essonnes, municipalité communiste depuis 1959 et ville populaire, élisait Serge Dassault comme maire dans le cadre d’une alliance nouvelle entre le « lumpenprolétariat », au sens où l'entendait Karl Marx, des cités et une nouvelle petite-bourgeoisie réactionnaire habitant dans les zones pavillonnaires.

En 2001, en Seine-Saint-Denis, Jean-Christophe Lagarde, dans le même cadre stratégique, devenait maire de Drancy, municipalité communiste depuis 1935. Cette alliance s’était développée sur fond d’affaiblissement et le vieillissement dans les cités des organisations collectives historiques qui organisaient la solidarité et la politisation des classes populaires : Secours populaire, Femmes solidaires, FSGT, UNRPA, Fédération de parents d’élèves, Jeunesse communiste, Parti communiste… Dans le même temps, les anciens pavillons ouvriers devenaient le lieu d’habitat d’une nouvelle petite-bourgeoisie de propriétaires, chassée en banlieue du centre des grandes villes et souvent structurée au sein de collectifs comme « voisins vigilants ».


En 2014, cette alliance de circonstance a commencé à faire système et est devenue une méthode de conquête des municipalités communistes, à caractère mafieux au sens d’un système social de protection et de domination, où se mélangent clientélisme, népotisme, corruptions, achats de voix, campagnes de diffamation, de rumeurs, de fausses nouvelles, intimidations et violences physiques. Tous les coups sont permis. On va interdire physiquement de campagne tel ou tel quartier ou immeuble en s’appuyant sur les dealers.

On met en compétition des individus avec pour critère le nombre de voix rapportées et comme récompense pour les « meilleurs » (sic) un emploi, un logement, un permis de construire… On met en concurrence des communautés, des associations, avec à la clef des promesses de subventions et de locaux. On espionne les candidats des listes adverses. On exerce des pressions physiques jusque devant et même dans les bureaux de vote. Dans un quartier on va faire courir la rumeur que les communistes sont racistes, la gauche islamophobe, qu’ils veulent détruire la famille avec « la théorie du genre », et dans tel autre quartier on distribuera des tracts anonymes affirmant que le PCF va livrer la municipalité « aux arabes, aux noirs, aux roms, aux juifs...» selon les phobies racistes supposées des uns et des autres.


Ce qui s’est passé à Bobigny en 2014 et jusqu’à la reconquête de la ville au mois de juin en est l’archétype même. Lors des élections de 2020 on est passé à une véritable industrialisation de ce système où tout est planifié, organisé, structuré par de véritables entrepreneurs électoraux issus des divers partis de droite, de LaREM, mais aussi de la mouvance sociale libérale inspirée par Terra Nova. Tout cela n’est pas sans évoquer la firme anglo-saxonne Cambridge Analytica fortement impliquée dans l’élection de Trump et le Brexit et dissoute après un scandale de vol massif de données personnelles. Cambridge Analytica n’était pas qu’une entreprise de marketing électoral exploitant de manière personnalisée les phobies des électeurs à partir des big-data, c’était une firme qui organisait clef en main une campagne électorale de A à Z, allant de la conception de tracts jusqu’à la compromission et même l’assassinat politique des adversaires. Elle n’a pas sévi qu’aux États-Unis et en Angleterre, ses terrains de chasse de prédilection ont été l’Afrique, l’Amérique latine et centrale, l’Europe de l’Est.


L’essentiel de l’efficacité de ce système de clientélisme, de népotisme et corruption repose sur une faible participation électorale, en particulier des classes populaires. Il exploite le recul de la conscience de classe, la croyance qu’on ne pourrait pas changer collectivement la société et que la politique ne serait qu’un moyen de réussir individuellement en intégrant les bons réseaux et en ayant les bonnes relations.


Les victoires de Corbeil-Essonnes, de Bobigny, de Noisy-le-Sec et de Villejuif ont montré que ce système n’était pas infaillible et qu’il était possible de le battre. C’est pourquoi il importe que nous en tirions tous les enseignements en matière de repolitisation des classes populaires, de constructions citoyennes solides menant de front luttes, construction du projet et de la liste, et d’organisation de nouvelles solidarités concrètes pour répondre ici et maintenant à l’urgence sociale immédiate. Car c’est sur l’incapacité à répondre individuellement, dans un cadre collectif, à cette urgence que fermente le terreau du clientélisme, du népotisme et de la corruption. On retrouve là le rôle décisif de l’action du Parti communiste pour passer de la « classe en soi » à la conscience de la « classe pour soi ».


Yann Le Pollotec
membre du Conseil national