André Grimaldi : « L’hôpital est bien moins solide qu’au printemps »

Pour soutenir l'Humanité, n'hésite pas à t'abonner numériquement à l'Humanité en cliquant ICI

grimaldi.jpg

Les établissements ont affronté de justesse la première vague, rien n’assure qu’ils supporteront la deuxième, alerte le professeur Grimaldi, qui dénonce le refus du gouvernement d’assumer ses responsabilités.

Entretien réalisé par Pierric Marissal

André Grimaldi Professeur émérite à la Pitié-Salpêtrière, fondateur du collectif Inter-Hôpitaux

Comment va l’hôpital ?

André Grimaldi La situation est déjà critique. Et, contrairement à ce que dit le ministre de la Santé, elle est pire que lors de la première vague : l’hôpital est bien moins solide qu’au printemps. Déjà, parce que tout le territoire est touché, comme les pays voisins. Donc, il n’y a pas de réserve, ni de lits, ni de personnel, pour envoyer les patients dans un établissement d’une autre région. Il faut aussi réaliser qu’on ne pourra pas reporter plus longtemps toutes les opérations et les urgences autres que le Covid. Ce qu’on avait fait la première fois, avec des dégâts. On devrait d’ailleurs ajouter au décompte des victimes du Covid les morts dus à des retards de prise en charge.

Le Ségur de la santé n’a donc rien changé ? Ni les 2,4 milliards d’euros mis sur la table par Olivier Véran ?

André Grimaldi C’est un échec. Le Ségur n’a pas du tout réussi à rendre le secteur plus attractif, donc nous sommes toujours en pénurie de personnel. Nous avons encore des lits fermés en réanimation, faute d’effectifs. Rien qu’à la Pitié-­Salpêtrière, il reste 22 lits fermés en neurologie, 17 en cardiologie. Il y a 500 postes toujours vacants budgétés à Paris. Quant à la rallonge de 2,4 milliards d’euros votée mercredi à l’Assemblée, c’est parce qu’il y a le feu aujourd’hui. Ce n’est pas pour préparer 2021, c’est juste pour rattraper l’absurdité de la tarification à l’activité : repousser des opérations non urgentes a plombé le budget, comme elles n’ont pas été facturées. Et dans les 2,4 milliards annoncés, il y a aussi les mesures de revalorisation salariale. Mais en attendant, les 183 euros de prime promis aux soignants, aucun ne les a vus.

Comment analysez-vous la séquence qui nous a menés au couvre-feu ?

André Grimaldi Le 9 septembre, le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, a sonné l’alarme en disant que le gouvernement devait prendre des mesures difficiles. Il a alors exprimé clairement que la situation de l’épidémie n’était plus sous contrôle. Le président Macron ne l’a pas supporté et a renvoyé dans un même mouvement les Français à leur responsabilité individuelle et le Conseil scientifique dans les cordes. Tout le monde s’est dit alors que tout allait bien. Résultat, un mois après, le président décide du couvre-feu, une mesure brutale et qui fait des dommages collatéraux, tout en continuant d’affirmer que l’épidémie est sous contrôle, ce qui est un mensonge. On a un gouvernement incapable de se projeter à quinze jours.

Vous pointez un problème de communication gouvernementale ?

André Grimaldi Il y a un vrai manque de transparence. Le gouvernement devrait expliquer que la situation est difficile, qu’il y a plusieurs pistes, et justifier ses décisions. La stratégie qui est suivie jusqu’ici, basée sur deux piliers – mesures barrières, dont le port du masque, et le triptyque tester, tracer, isoler –, est un échec. Mais le gouvernement ne fait pas le bilan de ce qui n’a pas marché, en particulier le ratage magistral des tests ou pourquoi on a pris du retard, pour ne pas assumer sa responsabilité. Après, la presse fait des suppositions, et, dans l’opinion publique, cela accroît l’impression qu’on ne nous dit pas tout. Et on se demande à quoi sert ce Conseil scientifique.