Covid-19. Documentaire « Hold-up », mécanique d’un emballement

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Ce prétendu documentaire taxé, à raison, de conspirationnisme et de diffusion de fausses informations sur la pandémie a déjà été vu plus de deux millions et demi de fois.

Avant même sa sortie sur Internet, le 11 novembre, Hold-up était déjà en passe de devenir un événement. Depuis le début du mois de novembre, sur les réseaux sociaux, de nombreux citoyens se font l’écho de la future diffusion de ce documentaire, qui depuis fait couler beaucoup d’encre pour les nombreuses fausses informations et thèses conspirationnistes qu’il diffuse. Il totalise plus de deux millions et demi de vues. Un succès qui puise dans plusieurs sources.

Son réalisateur, Pierre Barnérias, ancien journaliste passé par TF1 et Europe 1, proche de la Manif pour tous, n’en est pas à son coup d’essai : il a su fédérer sur Internet une audience relativement importante avec ses écrits et ses films sur la foi et « l’au-delà ». En s’appuyant sur cette communauté, le documentariste et son producteur Christophe Cossé sont passés par le financement participatif, obtenant près de 200 000 euros sur la plateforme Ulule. « Les plateformes participatives de financement permettent à des groupuscules marginaux, des militants de clavier, de changer d’échelle dans la toxicité de leurs propos et de leur parole », explique sur France Culture Tristan Mendès France, de l’Observatoire du conspirationnisme.

Surfer sur le scepticisme

La mayonnaise prend rapidement. Premier long métrage documentaire réellement critique sur la gestion de la crise sanitaire, Hold-up est très attendu. Les producteurs surfent sur un scepticisme de plus en plus vif et une défiance croissante envers le gouvernement et sa gestion de la crise sanitaire, en de nombreux points désastreuse et autoritaire. Sur les réseaux sociaux, sous les articles de médias traditionnels consacrés au Covid-19, les commentaires faisant la promotion de Hold-up pullulent, les groupes anti-masques, pro-Didier Raoult ou de gilets jaunes se faisant relais des bandes-annonces.

Celles-ci utilisent la même recette que le film lui-même : soulever les questions que tout le monde se pose, mettre en avant le flou autour de cette épidémie et les erreurs commises pour attirer et faire passer des thèses beaucoup plus obscures. Ainsi, dans la première partie du documentaire, les intervenants s’enchaînent pour dénoncer les nombreux mensonges des ministres et du président de la République, le flou scientifique autour du virus ou de la chloroquine, le manque de fiabilité des tests, les pénuries, les effets néfastes du confinement…

 

Rien n'est explicité, tout est suggéré

Quelques éléments factuels, véridiques, mais aussi beaucoup de fausses informations. Au moins une trentaine ont été recensées, comme lorsqu’il est affirmé que l’OMS a interdit les autopsies ou que le confinement n’a eu aucun effet. En s’appuyant sur ces contre-vérités et de nombreuses affirmations non sourcées, le documentaire, au fil de ses 2 h 40, suggère petit à petit que le virus est d’invention humaine ou que la pandémie avait été préparée par les plus puissants hommes affaires et intellectuels de ce monde (Bill Gates, Jacques Attali et le Forum économique mondial de Davos sont notamment cités).

 

« C’est un documentaire unilatéral, qui n’a qu’un seul objectif : nous montrer tous les éléments qu’ils ont pu grappiller çà et là et qui expliqueraient, en gros, qu’il y a un complot international d’une élite mondiale contre les citoyens », résume Tristan Mendès France. Via une mécanique bien huilée, les 37 intervenants enchaînent leurs arguments dans la confusion, les liens entre les faits ou allégations ne sont pas clairement explicités mais suggérés. Leur sérieux est particulièrement mis en avant, avec deux anciens prix Nobel (Luc Montagnier et Michael Levitt), des chefs de service de médecine (les professeurs Christian Perronne et Laurent Toubiana), la sociologue Monique Pinçon-­Charlot ou encore d’anciens membres d’instituts de recherche médicale présentés comme des lanceurs d’alerte… – en plus de quelques intervenants coutumiers des vidéos conspirationnistes, comme le vidéaste Silvano Trotta ou l’autrice Valérie Bugault.

Aucune place « pour la réflexion »

Dès la sortie officielle de Hold-up, la quasi-­totalité des médias a dénoncé les thèses suggérées et repéré les nombreuses fausses informations diffusées. Un emballement médiatique rendu nécessaire par l’aspect potentiellement dangereux de l’exposition massive de ce film mensonger mais qui n’est pas sans risque. Il a de fait contribué à le faire connaître plus largement et surtout il accrédite une de ses thèses : les médias traditionnels, comme toute l’élite, seraient corrompus, au service des dominants et de leur objectif de gouvernement mondial.

Icon Quote Un tel fourvoiement relève aussi de la responsabilité de Macron et du gouvernement dont la gestion chaotique de cette crise favorise les fantasmes. 

Monique Pinçon-Charlot

Cet emballement médiatique aura en tout cas permis de rétablir certaines vérités et à plusieurs intervenants du film de s’en repentir. L’ancien ministre Philippe Douste-Blazy s’en est désolidarisé, tandis que Monique Pinçon-Charlot s’est « excusée » sur Twitter, notamment pour avoir utilisé le mot « holocauste » en expliquant que les dominants préparaient une « guerre des classes » pouvant mener à l’extermination d’une partie de l’humanité. La sociologue a dénoncé également le jeu du producteur et du réalisateur qu’elle accuse « d’adopter la stratégie de l’émotion et de la conspiration, soulignées par un montage choc et vif, sans place pour la réflexion ». Et de fustiger : « Un tel fourvoiement relève aussi de la responsabilité de Macron et du gouvernement dont la gestion chaotique de cette crise favorise les fantasmes. » Car le point de départ du film et de sa promotion sur les réseaux sociaux réside bien dans l’immense défiance d’une partie de la population vis-à-vis de la gestion de crise du gouvernement, de son autoritarisme et de ses fautes.