« Le Covid-19 qui affecte tous les continents et frappe tous les pays européens est la plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle ». E. Macron
La phrase d’Emmanuel Macron, prononcée le 12 mars dernier, a suscité de nombreux remous parmi les militant-e-s de la lutte contre le VIH/sida. L’affirmation est plus que maladroite, car elle semble établir une hiérarchie des pandémies et de leurs victimes. Elle traduit en tous les cas la rapidité avec laquelle la mémoire des épidémies s’efface. Outre le sida, plusieurs voix se sont d’ailleurs faites entendre pour rappeler des précédents pas si lointains, mais totalement occultés, comme la grippe de « Hong-Kong » à la fin des années 1960.
La pandémie du Covid-19 est singulière par de nombreux aspects. Elle est spectaculaire par son ampleur mondiale, par sa médiatisation mais aussi par la somme d’incertitudes qu’elle véhicule. Si le manque de recul incite à la modestie et à la prudence dans les analyses “à chaud”, on peut imaginer sans peine que ses conséquences sociales et politiques seront majeures. Mais pour singulière qu’elle apparaisse, cette épidémie n’échappe pas au travail de comparaison et de mise en perspective, opérations indispensables pour tenter d’en prendre la mesure.
Dans ce cadre, et malgré des limites évidentes — tant le mode de transmission, l’ampleur de la diffusion ou le profil des populations gravement atteintes diffèrent très largement — les comparaisons avec la pandémie de VIH/sida sont fréquentes. Elles sont tentantes tant les stratégies de santé publique mises en œuvre (ou envisagées) et leur vocabulaire se ressemblent : mesures de prévention et de précaution, dépistage, traitement, réduction de la charge virale, etc. Ces comparaisons trouvent d’autant plus d’écho que certains des acteurs de premier plan de la lutte contre le coronavirus sont directement issus du monde du VIH. Citons notamment Jean-François Delfraissy, Yazdan Yazdanpanah et Laetitia Atlani-Duault (au sein du “comité scientifique”), ou encore Françoise Barré-Sinoussi (présidente du “Comité analyse recherche expertise”), sans oublier les responsables et les personnels des services de maladies infectieuses des Hôpitaux, en première ligne dans la prise en charge des patients (entre autres Gilles Pialoux, Eric Caumes ou Karine Lacombe). Mais ces transferts de savoir-faire de la lutte contre le sida sont aussi visibles à, travers les discours critiques de la gestion de l’épidémie, à l’image de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, animé par d’anciens activistes d’Act Up-Paris. L’expérience de la mobilisation face à une autre épidémie de grande ampleur est d’ailleurs régulièrement mise en avant par ces différents acteurs.
La lutte contre le sida est par ailleurs porteuse d’enseignements utiles, comme l’a bien souligné Françoise Barré-Sinoussi dans son interview au Monde du 24 mars. Dressant un parallèle avec les années 1980, elle pointe avec justesse la répétition des mêmes phénomènes de fausses nouvelles et d’emballements médiatiques, en particulier autour de l’attente d’une solution thérapeutique ou d’un vaccin, sur fond d’impuissance médicale. D’autres traits communs se dessinent. On pense, par exemple, à la nécessité pour nos sociétés de penser brutalement et collectivement le deuil et la perte des êtres chers et d’inventer des rituels nouveaux par temps de crise sanitaire. On pense également à la bataille de la publicisation des chiffres, le décompte des diagnostics positifs et des morts devenant l’un des marqueurs clé de l’efficacité ou de l’échec des politiques de santé publique. Enfin, pour le Covid-19 comme pour le VIH, l’épidémie agit comme un révélateur puissant des inégalités sociales systémiques ou de l’absence de scrupules de l’industrie pharmaceutique.
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