A Istanbul, une immense marée humaine rassemblée contre l’incarcération du maire Ekrem Imamoğlu
Plus de 2 millions de personnes, beaucoup de jeunes surtout, se sont rassemblées samedi 29 mars sur la place Maltepe et ses environs, à Istanbul, pour dénoncer l’incarcération du maire de la première métropole de Turquie, Ekrem Imamoğlu, ainsi que la répression qui s’abat sur le pays depuis le coup de force du 19 mars.
Ce jour-là, le maire d’Istanbul a été mis en garde à vue au petit matin sur ordre d’un procureur de la République pour une double accusation : «corruption» et «terrorisme».
Quelques jours auparavant, le Conseil d’administration de l’université d’Istanbul avait annulé le diplôme d’Ekrem Imamoğlu, obtenu il y a… 30 ans, pour cause d’irrégularités lors de son transfert depuis une université de Chypre. La raison de cette décision incongrue ? Selon la Constitution, il faut être diplômé de l’enseignement supérieur pour pouvoir être désigné candidat à la présidence de la République !
Et c’est bien là tout l’objectif de Recep Tayyip Erdoğan, l’actuel Président, qui veut par tous les moyens empêcher Ekrem Imamoğlu de devenir candidat pour la prochaine élection présidentielle prévue en 2028. En effet, Imamoğlu est devenu très populaire depuis qu’il a été élu maire d’Istanbul par deux fois en battant les candidats d’Erdoğan. Membre du parti kémaliste CHP affilié à l’internationale socialiste, il est considéré comme le principal opposant d’Erdoğan, capable de le battre lors de la prochaine présidentielle.
La double accusation absurde contre le maire d'Istanbul
La décision de l’université d’Istanbul n’a qu’un aspect administratif et il semble qu’elle ne résistera pas devant les tribunaux. Il fallait donc taper encore plus fort. D’où le coup de force du 19 mars. La double accusation « corruption » et « terrorisme » n’en est pas moins kafkaïenne.
La « corruption », supposée lors des passations de marchés publics de la municipalité d’Istanbul, est exclusivement fondée sur les dires de témoins secrets, sans preuves matérielles. Les constitutionnalistes s’accordent à considérer que, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation, on ne peut pas condamner quelqu’un uniquement sur les accusations de témoins secrets.
Quant au « terrorisme », c’est encore plus farfelu. L’accusation considère que le fait d’avoir obtenu, lors des élections municipales, le soutien du parti DEM représentant les Kurdes, et lui avoir accordé quelques sièges au conseil municipal, prouve que le maire d’Istanbul avait des connivences avec le PKK, organisation armée kurde. Or Erdoğan lui-même est en négociation avec le leader du PKK, Abdullah Öcalan, capturé et emprisonné depuis 1999, pour un cessez-le-feu et la dissolution du PKK. En contrepartie de droits qui seraient accordés aux Kurdes de Turquie dont les contours ne sont pas définis, Recep Tayyip Erdoğan espère obtenir le soutien des députés du parti DEM à l’Assemblée nationale pour amender la Constitution lui permettant de postuler une nouvelle fois à la présidence de la République. Rien ne dit que ce scénario sera réalisé. Mais si le PKK devient respectable et respecté par Erdoğan, que va devenir l’accusation de connivence avec le PKK pour Imamoğlu ?