Les Etats-Unis, si loin, si proches

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L’éditorial de L’Humanité Dimanche du 12 novembre – par Patrick Le Hyaric.

La défaite, après tant de rebondissements, du satrape démagogique qui a occupé la Maison-Blanche ces quatre dernières années fut un immense soulagement. Immédiatement pondéré à la fois par la puissance du vote en sa faveur et le profil de son successeur démocrate, incarnation du pouvoir établi soutenu par les segments les plus voraces du capital dynamique et mondialisé.

L’absolue nécessité de mettre hors d’état de nuire M. Trump passait par le vote Biden. Et c’est sans état d’âme que les franges les plus à gauche du bloc démocrate, rangées derrière Bernie Sanders, se sont engagées dans la campagne. De ce bloc progressiste, conforté dans les urnes, viennent désormais tous les espoirs.

La fin des provocations racistes au sommet de l’État, le retour annoncé d’une conception multilatérale des relations internationales, la réintégration de l’Unesco, de l’Organisation mondiale de la santé ou de l’accord de Paris sur le climat sont autant de bonnes nouvelles, en attendant les actes. D’autres sont attendus des progressistes du monde entier, notamment la normalisation des relations avec Cuba, la Bolivie ou le Venezuela, la reprise des discussions avec l’Iran, la reconnaissance de la Palestine, conformément au dernier discours du vice-président d’Obama, la fin de la guerre froide avec la Chine, l’abandon du traité transatlantique et une modification de l’Organisation mondiale du commerce visant un commerce équitable.

Joe Biden aurait tort de vouloir jouer au président « normal » dont la seule qualité serait d’être l’antithèse de son prédécesseur. Nous savons d’expérience où mène pareille nonchalance… C’est au contraire en avançant résolument vers un nouveau système de santé efficace, et protecteur contre le Covid, et en renouant avec les classes populaires du pays, qu’il pourra couper l’herbe sous le pied du nationalisme et espérer recoudre un semblant d’unité.

Il a souvent été dit des États-Unis qu’ils préfiguraient la marche du monde occidental. L’observation s’est vérifiée à maintes reprises. Notre avenir serait-il donc scellé entre le capitalisme réactionnaire et le capitalisme à l’apparence débonnaire de la finance mondialisée ? Car les lignes de fracture qui traversent les États-Unis ne nous sont pas totalement étrangères. La résistance du trumpisme vient de loin, d’un Parti républicain débordé par ses marges racistes et nationalistes dont le Tea Party fut l’expression. Un long travail idéologique et politique fut mené, appuyé sur une propagande numérique et médiatique d’envergure. Observons, en France, comment la démagogie populiste fraye semblable chemin, avec pour terreau les inégalités galopantes, la désindustrialisation et le mépris des citoyens.

Donald Trump a beau avoir enregistré ses meilleurs scores chez les plus riches, beaucoup d’ouvriers et de paysans ont voté pour lui. Joe Biden n’a été sauvé que par les banlieues populaires et ouvrières et la mobilisation de la jeunesse. Les clivages apparaissent d’abord générationnels. Ils sont ensuite spatiaux, avec un vote rural et intérieur à très forte coloration républicaine et un vote urbain et côtier foncièrement démocrate. À grands traits, le vote oppose les espaces intégrés à la mondialisation capitaliste et les espaces dépendant du capital national. Voilà qui rejoint peu ou prou l’analyse qui est faite chez nous d’une « France périphérique », celle des gilets jaunes, ou de l’opposition formulée par l’essayiste anglais David Goodhart entre les « Somewhere » (de quelque part) et les « Anywhere » (de n’importe où). Ces oppositions spatiales et culturelles tendent à opposer les classes populaires entre elles. Surtout quand des oppositions raciales viennent s’y ajouter. Le mouvement Black Lives Matter, fortement soutenu par les démocrates, n’aura pas empêché la progression du vote afro-américain en faveur de Trump. Voilà qui doit interroger. Ces oppositions qui épargnent le pouvoir du capital sont autant de pièges que devront déjouer les progressistes des États-Unis. Des pièges dont nous ne sommes pas, non plus, totalement à l’abri…