La réforme des retraites portant l’âge légal à 64 ans n'est que la réponse à une exigence européenne, la Commission de Bruxelles examinant dans son Livre vert, l'hypothèse d'une retraite à 72 ans.
En effet, si officiellement la question des retraites relève des compétences des États, la Commission européenne est obsédée par l'âge de départ en retraite. Le 27 juin 2021, elle publie ainsi un "Livre vert sur le vieillissement" qui propose tout un tas de dispositifs pour un "vieillissement actif et en bonne santé", mais s'inquiète surtout du financement du système de retraites et d'une possible « diminution de la population en âge de travailler ".
Comme il n'est pas question de taxer le capital, il est énoncé dans ce document "l'allongement de la vie professionnelle comme une réponse" pour maintenir le "taux de dépendance économique", à savoir le ratio actifs retraités. Pour que celui-ci soit le même en 2040 qu'en 2020, il suggère de porter la vie active ... à 70 ans, et même à 72 ans.
Leur alternative à un tel choix serait les "retraites complémentaires".
De fait, depuis 2011, la Commission a demandé à la France, à neuf reprises, de réformer son système de retraite. Paris n'est pas seul dans ce cas. En 2019, quinze États ont été invités à changer leur régime de pensions, Bruxelles ayant toujours considéré que l'assainissement budgétaire passe par une coupe dans le système de protection sociale et de retraite.
Qu'importe pour Bruxelles et le gouvernement, si, qu'en terme de santé, d’espérance de vie, de taux d’emploi, 65 ans soit l’âge où arrivent les premières pathologies, les premières comorbidités, les premiers décès d’amis du même âge, l’apparition des premières incapacités.
À ce tableau général, les inégalités sociales donnent à voir une situation très sombre. Parmi les 5 % les plus pauvres dans la population française, un quart est déjà décédé avant 62 ans, et un quart des hommes les plus pauvres ne peut espérer aujourd’hui vivre à la retraite plus de 10 ans.
Plus généralement, si cette réforme reportant l'âge légal de la retraite et accélérant l'augmentation de la durée de cotisation est injuste socialement pour tout le monde.
Elle l'est singulièrement pour les femmes. Le fait que l'âge d'annulation de la décote ne bouge pas à 67 ans, et du fait de carrières plus souvent irrégulières, ce sont ces 19 % des femmes (contre 10 % des hommes) qui attendent cet âge du taux plein pour liquider leurs droits, qui sont pleinement touchées, les incitant à avoir des boulots précaires pour compléter cette si pauvre pension. Les inégalités salariales femmes/hommes aggravent cette situation, par des pensions plus faibles que celles des hommes (avec un écart de 40 % pour les pensions de droit direct). Et que dire des femmes avec enfants, qui sont d'autant plus touchées que la réforme neutralise les trimestres de majoration pour maternité de milliers d'entre-elles.
Aussi, la réforme tourne le dos au progrès. Un appauvrissement des retraité·es est programmé : alors que leur part dans la population va augmenter, la part de la richesse produite qui leur revient va baisser. Elle diminue de 14 % du PIB actuellement à une valeur comprise, selon les scénarios, entre 11,3 % et 13 % en 2070. Le COR l’indique explicitement : cette diminution résulte de la baisse des pensions rapportées aux revenus d’activité.
Le progrès ne consiste ni à appauvrir les retraité·es, ni à faire travailler plus longtemps les actifs, mais à augmenter les ressources du système (améliorer les salaires, en finir avec les inégalités de taux d’emploi et de salaires entre les sexes, supprimer les exonérations abusives de cotisations sociales, créer les emplois répondant aux besoins sociaux et écologiques, etc.).