Liberté, nous écrivons toujours ton nom

Pour soutenir l'Humanité, n'hésite pas à t'abonner numériquement à l'Humanité en cliquant ICI

Editorial

Patrick Le Hyaric

Tout démocrate, tout républicain doit s’alarmer et résister. Nous basculons de « l’État de droit » au droit d’un État se donnant tous les droits. La proposition de loi à l’intitulé aussi grotesque que glaçant de « sécurité globale » fait frémir. Nombre de ses dispositions, sur les pouvoirs conférés aux polices municipales, le soutien apporté aux officines de sécurité privée, la généralisation abusive de l’usage des drones, et les graves atteintes au syndicalisme étudiant inscrites parallèlement dans la loi de programmation de la recherche signent une sortie de route liberticide extrêmement préoccupante. Le tout couronné par des dispositions scélérates qui dénaturent les principes fondamentaux qui régissent la liberté d’expression en France. La surenchère verbale d’un ministre de l’Intérieur irresponsable demandant aux journalistes de stipendier le droit d’exercer leur métier auprès de l’autorité préfectorale condamne l’hypothèse d’un fourvoiement.

Mais on ne franchit pas impunément les lignes rouges. La loi relative à la liberté de la presse de 1881 en est une, absolue, qui figure au fondement des libertés civiles arrachées de haute lutte. Elle est frappée par les deux textes en discussion, celui dit de « sécurité globale » et celui dit de « renforcement des principes républicains ». L’un cherchant à empêcher journalistes et citoyens de relever les cas de violences policières, l’autre à extraire de la loi de 1881 les infractions d’incitation à la haine pour hâter les procédures et alourdir les peines.

L’histoire de la liberté de la presse est intimement liée à la conquête des libertés démocratiques et des droits sociaux. Point ici de corporatisme. En effet, la liberté d’informer des journalistes est la condition du droit de savoir des citoyens. Des peuples se sont mis en révolution au nom de cette liberté, particulièrement en France, et chaque épisode révolutionnaire depuis 1789 a été, sans hasard, l’occasion d’une floraison de titres de presse, vecteurs de l’expression démocratique. La loi de 1881 est une loi de consolidation républicaine édifiée contre les fossoyeurs de la Commune, partisans d’un ordre moral appuyé sur la censure et la répression populaire. En offrant une assise juridique aux articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – qui fondent la liberté de conscience, d’opinion et d’expression –, elle lie la liberté de la presse à la liberté d’expression, garantie pour chaque citoyen, « sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

Vouloir s’attaquer à l’une de ces libertés revient fatalement à s’en prendre à l’autre. C’est exactement ce à quoi s’emploie le gouvernement, signant ainsi sa mue en force contre-révolutionnaire et antirépublicaine. Il a fallu plus d’un siècle pour transcrire ces droits dans la loi. Faudra-t-il quelques années pour les en sortir ? Voilà politique proprement réactionnaire, sous les applaudissements nourris de l’extrême droite, qui userait sans vergogne de ces nouvelles législations si par malheur elle accédait aux affaires.

Heureusement, la société, dans son bon droit, manifeste sa juste colère malgré les règles du confinement et les nasses policières. Et l’ensemble des rédactions du pays s’est levé contre ces atteintes inédites à la liberté de la presse et d’expression.

Le libéralisme, incapable de susciter l’adhésion populaire, est irrésistiblement gagné par des pulsions autoritaires. Un saut vient d’être effectué vers un lendemain sécuritaire sans rivage. Droit de manifestation, droits syndicaux, liberté d’information, laïcité sont passés au broyeur liberticide alors même que la République, sous état d’urgence permanent, devient un signifiant réactionnaire. Tout doit être entrepris pour obtenir le retrait de ce texte, et pour défendre et développer les libertés démocratiques. La République refondée ne peut et ne doit être que démocratique et sociale.