Loi «  sécurité globale »  : les 4 points clés de ce texte ultrasécuritaire

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La proposition de loi de la Macronie arrive ce mardi 17 novembre à l’Assemblée nationale. L’Humanité décortique 4 points clés de ce projet autoritaire, qui porte atteinte aux libertés. Décryptage.

La proposition de loi sur la «sécurité globale» arrive ce mardi dans l’Hémicycle. Soutenu par le ministre Gérald Darmanin, le texte de LaREM décline en 32 articles les orientations très sécuritaires du gouvernement. Du floutage obligatoire des agents à la surveillance généralisée de l’espace public, en passant par le renforcement de la police municipale, la loi inquiète les organisations de défense des libertés publiques. Car son objectif est simple : restreindre les images de policiers en opération, mais faciliter la diffusion d’images produites par les policiers pour contrôler le récit des événements.

  1. Limiter les images de violences policières

L’article 24 de la proposition de loi concentre les tensions. Et pour cause : diffuser sur les réseaux sociaux des images de policiers en opération, dans l’intention de nuire à leur « intégrité physique ou psychique », sera passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. La mesure a immédiatement suscité de vives inquiétudes. Le but du texte, alerte le Syndicat de la magistrature, est « de faire encore reculer le contrôle démocratique sur ce qui se joue, les forces de l’ordre devenant finalement les seules à échapper aux honneurs des caméras ».

Le ministre Gérald Darmanin, lui, ne cesse de répéter qu’ « on pourra toujours filmer des policiers en manifestation. En revanche, il sera impossible de diffuser ces vidéos de manière malveillante, sinon vous serez sanctionné », a-t-il encore affirmé au Parisien dimanche. Il se garde bien de dire que l’obligation de flouter les policiers et la sanction possible en cas de non respect risquent de dissuader les personnes de filmer. D’autant que « l’intention est une notion sujette à interprétation et qu’il est difficile de caractériser, pointe Reporters sans frontières. Toutes les images montrant des policiers identifiables (…) pourraient se voir accusées de chercher à nuire à ces policiers. Pour les journalistes, l’aléa judiciaire est réel, et le risque de condamnation existe ». Sans compter, rappelle le député PCF Stéphane Peu, que « la police républicaine, au service de tous les citoyens, doit être bien identifiée et identifiable ».

Le corapporteur du texte LaREM Jean-Michel Fauvergue ne fait pas mystère de la visée de cette disposition : il s’agit de « reprendre le pouvoir dans la guerre des images ». Pour y parvenir, la proposition de loi entérine l’anonymisation rampante des policiers à l’œuvre depuis des années. Pour faire passer la pilule, l’élu macroniste a introduit en commission un amendement pour que le numéro d’immatriculation individuel (RIO) reste identifiable. Problème : nombreux sont ceux à ne pas respecter l’obligation de le porter. Et reprenant à son compte l’argumentaire des syndicats policiers, Gérald Darmanin défend cette mesure visant à protéger les agents des insultes et autres agressions. Si les menaces à leur encontre ne font aucun doute, aucun chiffre, aucune étude ne permet d’attester que celles-ci ont un lien avec la diffusion d’images sur les réseaux sociaux.

  1. Les caméras-piétons, un moyen de communication

Si le texte favorise l’anonymisation des policiers, il propose a contrario une surveillance massive des personnes en temps réel, via les drones ou les caméras-piétons. Sur l’utilisation de ces dernières par les policiers municipaux, une circulaire du ministère de l’Intérieur du 14 mars 2019 prévoit que les agents ne « peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent ». Désormais, ils auront le droit de regarder les images qu’ils tournent. Même au sein de la majorité, des inquiétudes se font jour. Le député LaREM Sacha Houlié a déposé en commission un amendement visant à supprimer cette disposition, car « la captation en question perdra de sa force probante, la bonne foi de l’agent pouvant être remise en question ». Pour les élus du groupe Libertés et territoires Paul Molac et Jean-Félix Acquaviva, cette mesure pourrait permettre « d’adopter la même version des faits en cas de poursuite et (de) chercher à cacher des manquements de la part des forces de l’ordre ».

Autre point inquiétant : ces mêmes enregistrements pourront être transmis en direct au poste de commandement. « Cette transmission en temps réel est très grave (…) Le centre de commandement pourra informer en direct les agents de terrain sur l’identité des militant.e.s sur les lieux de la manifestation », a estimé la France insoumise dans un amendement rejeté. Enfin, ces enregistrements, jusqu’à présent exploités à des fins judiciaires, serviraient à « l’information du public sur les circonstances de l’intervention ». Cet outil de surveillance se transformerait ainsi en moyen de communication à destination du public, conformément à la stratégie déployée depuis les gilets jaunes par la préfecture de police de Paris sur son compte Twitter. Inquiète, la Défenseure des droits, Claire Hédon, estime dans un avis rendu le 5 novembre que « ces dispositions sont susceptibles de porter atteinte au droit au respect de la vie privée ».

  1. La surveillance généralisée de l’espace public

À y regarder de plus près, l’article 22 sur les drones s’inscrit aussi dans cette volonté de renforcer l’appareil répressif. Au nom de la lutte contre l’insécurité, la loi favorise l’élargissement de leur utilisation. Le texte prévoit ainsi un champ d’intervention allant de la lutte antiterroriste à la simple zone de deal, mais aussi à la surveillance des manifestations. Ce qui constitue une arme de dissuasion massive car lourde de conséquences pour les manifestants. « La surveillance par drones permet aussi, plus simplement, de suivre à la trace n’importe quel individu “dérangeant’’ repéré au cours d’une manifestation, afin de diriger les forces aux sols pour le malmener », s’inquiète l’association de défense des libertés numériques la Quadrature du Net. Mais surtout, le texte donne un cadre juridique à l’usage des drones, jusqu’ici mal encadré, après que ceux de la préfecture de police de Paris ont été cloués au sol pendant le confinement par le Conseil d’État. Par ailleurs, de quelles garanties disposent les personnes concernant le respect de leurs données personnelles ? Aucune, alertent la Quadrature du Net et 64 organisations, dont la LDH et le Syndicat des avocats de France, pour qui le déploiement massif de ces drones et des caméras mobiles entraînerait « une capacité de surveillance généralisée de l’espace public ».

  1. L’abandon de missions régaliennes

Dernière aggravation inquiétante, le transfert de compétences régaliennes aux policiers municipaux et aux agents de sécurité privée. Les infractions, comme la conduite sans permis, la vente à la sauvette, les squats de hall d’immeuble, les ventes de stupéfiants, l’occupation de bâtiments ou les tags, seront désormais constatées et verbalisées par les agents municipaux, et non par la police nationale. Ce transfert de compétences, outre qu’il fait reposer sur les communes des missions dévolues à l’État, met ces politiques à la merci des arbitrages des maires, ouvrant la porte à une inégalité de traitement. « Chaque maire décide de la doctrine d’emploi du service qu’il a mis en place en fonction des moyens dont dispose sa commune », rappelle Stéphane Peu (PCF), inquiet de voir se renforcer une « sécurité des riches et une sécurité des pauvres ». « Les villes populaires risquent encore d’être les grands perdants », se désole-t-il.

La Commission des droits de l’homme alerte

Alors que les députés se penchent à partir de ce mardi sur la loi « sécurité globale », la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), chargée de conseiller gouvernement et Parlement, a estimé, dans un communiqué en fin de semaine dernière, que « la banalisation de l’exception » sur « les procédures législatives » abîme profondément le débat démocratique. « On ne compte plus les projets et propositions de loi adoptés en procédure accélérée », a sévèrement critiqué l’autorité administrative indépendante, en allusion à la décision du gouvernement d’enclencher une telle procédure sur ce texte important. La CNCDH dénonce également le choix du gouvernement de soutenir une proposition de loi, au lieu de présenter lui-même un projet de loi : « En n’assumant pas directement le choix de ces nouvelles orientations sécuritaires, (…) le gouvernement prive le Parlement et la société d’un débat sur leur impact ainsi que de l’expertise juridique du Conseil d’État. » Et l’autorité indépendante regrette de surcroît que le pouvoir ne la consulte pas sur cette réforme. Selon elle, ce projet « redessine » pourtant « de manière très préoccupante les contours d’une ’’nouvelle donne’’ sécuritaire ».