(Chronique publiée par l’Humanité-Dimanche)
L'offensive lancée par le Président des Etats-Unis contre l'Organisation mondiale de la santé (OMS), en pleine pandémie du covid-19, constitue un acte trop grave pour être traité en simple fait divers. Pour mesurer la portée potentielle de la menace proférée par Donald Trump -suspendre la contribution américaine à cette agence de l'ONU- , rappelons ce que représente concrètement celle-ci.
Créée en 1948, l'OMS a une mission aussi simple à énoncer que complexe à réaliser : aider les pays -particulièrement les plus en difficulté- à assurer à leurs habitants le meilleur niveau de santé possible ! Dans le monde tel qu’il est, cela signifie d’abord assurer à plusieurs milliards de personnes un accès amélioré aux médicaments et aux vaccins contre les grandes maladies infectieuses , un suivi de leur approvisionnement en eau et de l’assainissement ou encore le droit aux progrès humains que permettent les nouvelles connaissances médicales...Pour toute l'humanité, l'OMS est l'instrument indispensable pour classifier les maladies et valider les médicaments; centraliser et partager les données sanitaires de 194 pays; éradiquer des maladies dévastatrices comme la variole, le paludisme ou la poliomyélite; favoriser la recherche sur le cancer; organiser la lutte contre le sida, ou encore pour mener des campagnes de sensibilisation sur les bienfaits de la consommation des fruits et légumes ou les risques liés à l'usage du tabac...C'est encore l'OMS qui a pour tâche -à partir des informations émanant des Etats membres- de détecter une menace de pandémie puis d'établir les niveaux d'alerte au fil de l'évolution de celle-ci. Enfin, l'agence onusienne se préoccupe de l'environnement en milieu urbain, en particulier en fixant des normes pour la qualité de l'air. Et tout cela, dans le contexte d'une pénurie chronique de moyens budgétaires, de pressions féroces des lobbys de l'industrie pharmaceutique et de la volonté de Washington de la marginaliser.
Naturellement, comme toutes les agences internationales, l'OMS est l'objet de critiques et se doit d'y répondre. Mais les raisons de l'attaque de Donald Trump sont, en l'occurrence, trop transparentes pour laisser la place au doute : le Président-candidat doit se justifier de sa gestion calamiteuse de la crise sanitaire auprès de son électorat ; il en profite pour alimenter sa bataille de "leadership" contre Pékin (qu'il accuse l'OMS de favoriser); enfin et surtout, il exacerbe jusqu'à la caricature l'opposition traditionnelle de la puissance américaine à toute instance multilatérale susceptible de contrarier ce qu’elle estime être ses intérêts. En 1986, Ronald Reagan, avait déjà coupé les vivres à l’OMS -et fait chuter son Directeur général- pour les punir d’avoir tenté de court-circuiter l’industrie pharmaceutique américaine pour aider les pays pauvres à soigner leurs malades à moindre frais. Trump poursuit, accentue et généralise (à l’UNESCO, aux accords sur le climat ou le nucléaire iranien, à l’Office de protection des réfugiés palestiniens...) cette dérive dominatrice .« America first ! », espère-t-il, ça paye !
Mais c’est au monde entier que ce nationalisme agressif risque de coûter cher ! Aussi aimerait-on entendre de la part, tant de l’Union européenne, en général, que de la France en particulier, une réprobation énergique et l’engagement d’assurer à l’OMS les moyens de remplir ses missions en toute indépendance.
Francis WURTZ