Robin Renucci "J'ai très envie de repenser les formes du spectacle vivant"

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Robin Renucci est un visage familier des grands et petits écrans depuis plus de 30 ans, de son premier rôle marquant dans Escalier C, de Jean-Charles Tacchella, jusqu’à celui du maire de la saga Un village français sur France 3. Mais il est avant tout un homme de théâtre, ayant joué sous la direction des plus grands metteurs en scène, avant de se livrer lui-même à cet exercice depuis qu’il dirige les Tréteaux de France. Depuis janvier 2017, il est membre du Haut Conseil de l'éducation artistique et culturelle.

A quoi pensez-vous ?

Robin Renucci Je ne peux guère m'empêcher de penser à ce réel que nous vivons et qui nous sert d'appui, nous autres citoyens et artistes, mais pour nous en extraire et tenter d'imaginer un monde meilleur. C'est un monde très perturbé que certains appellent l'anthropocène, et qui dit que l'homme s'est placé au centre de la biosphère du monde en soumettant les espèces animales, en pliant la nature à ses buts, quitte à ce qu'il dérègle les équilibres biologiques, climatiques, et on voit bien aussi où nous en sommes arrivés par le lien avec l'animal et la suprématie de l'homme. C'est une épidémie, je pense à ce qu'elle montre, les limites d'un système sans doute, qui a été créé par notre génération. J'ai peur de ce que nous allons laisser à nos enfants. Mais je pense aussi à nos parents. J'ai la chance d'avoir un père qui a eu 100 ans au début du mois de mai, pendant le confinement. Nous aurions aimé fêter son anniversaire. Il a traversé le siècle avec tant de difficultés, des guerres et différents systèmes terribles qui ont modifié notre histoire, et il est arrivé jusqu'à ce coronavirus, vainqueur, à 100 ans. C'est un système, ce monde que nous avons créé, qui n'a pensé qu'à l'économie, à la course au profit, au détriment du social, et on a vu que le principe du service public avait été à ce point abîmé, l'hôpital qui était considéré comme la dernière roue de la charrette alors qu'il devait nous protéger, être le bouclier de notre défense. Des gens sont morts, beaucoup de vieilles personnes, sans qu'on puisse leur donner une sépulture. Le monde a complètement changé de face. C'est à tout cela que je pense, avec beaucoup d'affection aussi pour ceux qui sauvent nos vies, et puis l'envie d'être plein d'espoir, cependant, et d'imaginer un avenir qui sera, qui ne saurait être autrement que meilleur.

Mais dans ce moment de remise en cause du monde, peut être aussi de soi-même, est ce qu'il y a des choses que vous avez décidé de ne plus faire ?

Ce sont des choses simples. En fait il me semble que je dois, comme tout le monde, diminuer ma consommation des énergies fossiles. Par exemple, je n'ai pas de voiture à Paris, je me déplace avec les transports en commun et toujours aujourd'hui, avec un masque, bien sûr. Mais j'ai une voiture en Corse où j'habite régulièrement, et c'est une vieille voiture. C'est une grosse voiture, d'ailleurs un peu lourde. J'ai décidé de transformer cette relation que j'ai avec ce véhicule et de changer de voiture, pour une voiture moins lourde, qui consomme moins, et qui diminue ma consommation de carbone. Je pense que l'on peut changer les choses par soi-même déjà, et pas trop le reprocher aux autres. Commençons déjà par nous-même. Donc je vais faire ça, c'est l'acte que je ferai après ce confinement.

Qu'est-ce que l'art et la culture peuvent, selon vous, apporter à ce monde un peu nouveau que vous espérez ?

L'art, c'est une chose. La culture, c'en est une autre. J'ai plutôt tendance à dire que la culture, c'est la relation à l'art, et l'art c'est, avant de devenir ce que va être notre patrimoine, l'acte de quelqu'un qui est une création, la richesse d'une façon de voir le monde, de l'inventer, quelle que soit la matière, dans une image, ou dans une chose immatérielle. Je pense que le lieu du spectacle vivant est le lieu par excellence du partage, de la vision du monde, en partageant nos émotions, nos pensées. Donc là, nous sommes contraints évidemment dans cette situation, puisque nous ne pouvons pas nous unir et nous assembler. Je pense à Jean Vilar en disant cela qui, comme une religion, comme une communion laïque, aimait rassembler et unir. Aujourd'hui, nous sommes dépourvus de ce geste cardinal de nos activités qui consiste à nous rassembler et à nous unir. L'art, c'est une priorité. Il faut qu'il y ait de véritables plans de relance à venir. Il faut pouvoir penser et créer collectivement à nouveau ce monde par le souci, par le soutien aux acteurs, bien sûr, de toute la culture et de l'art, mais aussi aux auteurs qui sont très souvent oubliés. J'ai très envie de repenser les formes du spectacle vivant. Peut-être que nous travaillerons avec moins de monde dans les salles, peut-être masqués. Je prépare un spectacle en ce moment et curieusement, il y a une phrase que j'ai entendu tout à l'heure dans la bouche de l'actrice qui joue Agrippine : « Ah l'on s'efforce en vain de me fermer la bouche ». Et quand on dit cela avec un masque sur le visage, ma foi, qu'est-ce que ça fait réfléchir !

Qu'est-ce que vous attendez des autres ?

Je pense qu'il faut tenter de se libérer de ces chaînes individuellement et de s'émanciper chacun par ses capacités. Mais j'ai besoin surtout d'une société civile. Je crois, quand je pense aux autres, à la res publica, à cette chose ensemble. Je pense à un nouveau souffle, sans jeu de mot, sur ce que nous vivons, toutes proportions gardées, mais un souffle centré sur l'humain, sur les solidarités, sur l'éducation populaire. Oui, j'aime dire « l'éducation populaire », avec la possibilité pour chacun d'une plus grande implication dans la vie publique. J'attends que cette direction soit donnée par l'État et le Président. J'ai envie qu'on se libère du consumérisme et de ce monde du « court-termisme », notamment financier, et j'attends que tous ensemble, nous ayons un sursaut commun, mais qui ne passe que par l'individu.

Robin Renucci, jeudi 28 mai 2020

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