Le gouvernement vient de mettre en place une réforme controversée du Revenu de solidarité active (RSA), conditionnant son versement à l’obligation d’effectuer 15 heures d’activité hebdomadaire.
Présentée comme une mesure de lutte contre l’assistanat, cette réforme risque surtout de creuser davantage les inégalités et de fragiliser les personnes déjà en situation de grande précarité.
Imposer aux allocataires des activités souvent éloignées de leur réalité personnelle et professionnelle dénature complètement la vocation du RSA. Ce dispositif a été conçu pour garantir un minimum vital et lutter contre la pauvreté, pas pour exercer une pression permanente sur les plus vulnérables. Sous peine de voir leurs droits suspendus, les bénéficiaires se retrouvent enfermés dans une logique punitive et uniforme, qui ignore la diversité de leurs parcours et des obstacles qu’ils rencontrent.
Cette logique punitive est d’autant plus préoccupante dans des territoires comme la Seine-Saint-Denis, où la précarité est particulièrement marquée. Département le plus jeune et l’un des plus dynamiques de France, la Seine-Saint-Denis fait face à des défis sociaux et économiques majeurs. En 2023, environ 83 766 foyers de Seine-Staine-Denis percevaient le RSA, soit près de 10,7 % de la population, un taux largement supérieur à la moyenne nationale.
La gestion du RSA pèse lourdement sur les finances départementales déjà fragilisées. Depuis le transfert du RSA aux départements, l’État doit à la Seine-Saint-Denis plus d’un milliard d’euros de sous-compensation, soit l’équivalent de la dette exacte du département. Malgré la récente recentralisation du RSA, le département continue de supporter un reste à charge de 249 millions d’euros non compensés par l’État, ce qui en fait le département avec le plus gros reste à charge de France. Cette situation met en lumière un désengagement progressif de la solidarité nationale au détriment des territoires les plus fragiles.
Dans ce contexte, la cure d’austérité imposée par le gouvernement, qui risque de se poursuivre avec le gouvernement Bayrou, menace directement les capacités d’action du département. Les moyens alloués aux politiques sociales et d’insertion risquent d’être encore réduits, alors qu’ils sont essentiels pour accompagner les personnes en difficulté.
Pourtant, des initiatives locales existent et mériteraient d’être renforcées. Les dispositifs d’Insertion par l’Activité Économique (IAE) et les projets Territoires zéro chômeur de longue durée offrent des solutions concrètes pour redonner confiance et autonomie aux allocataires. Cependant, l’insertion ne peut pas se limiter à la seule recherche d’emploi. Elle doit également inclure la réinsertion sociale des bénéficiaires. Cela implique de prévoir des dispositifs dans les domaines de la culture, des loisirs et de la santé afin de favoriser un accompagnement global et durable. Sans ces soutiens, il sera illusoire de penser que l’insertion professionnelle pourra être efficace.
Au-delà de l’aspect administratif, cette réforme s’inscrit dans un discours culpabilisant envers les plus fragiles, comme si leur situation était uniquement de leur responsabilité. Ce type de rhétorique masque une stratégie plus large : affaiblir les fondements de notre modèle social au profit d’intérêts privés et du marché. Aujourd’hui, ce sont les bénéficiaires du RSA qui sont visés, mais demain, ce pourraient être nos services publics, voire notre modèle social.
Créer une opposition entre les “méritants” et les prétendus “assistés” est non seulement injuste, mais aussi dangereux. Cela détourne le regard des véritables causes des inégalités : un système économique qui privilégie les profits des grandes entreprises au détriment du bien commun.
Il est temps de sortir de cette logique d’exclusion. De nombreuses solutions ont déjà fait leurs preuves : les initiatives locales qui redonnent confiance et recréent du lien social, les accompagnements individualisés capables de prendre en compte les difficultés personnelles freinant l’accès à l’emploi, mais aussi les politiques culturelles, sportives et de santé qui permettent une véritable réinsertion.
Le gouvernement doit revoir cette réforme et s’engager dans des politiques qui renforcent la solidarité et l’émancipation. Nous avons besoin d’un modèle social où personne n’est laissé de côté, où les institutions soutiennent plutôt qu’elles ne sanctionnent, et où les valeurs de justice et d’entraide priment sur la contrainte et l’exclusion.