Bertrand Hammache, responsable CGT RATP, répond à nos questions dans le cadre de la campagne "Stop Galère" contre la privatisation des transports publics et l'augmentation de la tarification.
Le conseil d'administration d’Île-de-France mobilités (IDFM) a entériné l’attribution de 3 premiers lots de réseau de bus. En quoi cette décision préfigure-t-elle une privatisation de la RATP ?
L’État, avec la complicité de Mme Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, a engagé un processus de dénationalisation progressive de la RATP. Sa première phase est la fragmentation du réseau de bus en 12 lots. C’est le conseil d’administration d’IDFM qui a entériné mardi 12 novembre l’attribution des 3 premiers lots.
Une première mobilisation s’est tenue devant le conseil régional où siège le conseil d'administration d'IDF Mobilités pour dénoncer ce projet aberrant à tout point de vue. A l’appel de la CGT, agent·e·s RATP, militant·e·s, élu·e·s et personnalité·e·s politiques ont répondu présent pour soutenir notre combat face à cette nouvelle attaque sournoise contre une double conquête sociale : le statut d’une entreprise publique et celui des agent·e·s de la RATP.
Cyniquement, les fossoyeurs du service public appellent ça « l’ouverture à la concurrence » ! Mais en réalité tout cela à la couleur terne, le goût amer et l’odeur rance d’une privatisation qui ne dit pas son nom.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que cette fragmentation en 12 lots du réseau historique unique de la petite couronne, chacun est associé à un appel d’offres lancé par IDFM. Seules les entreprises de droit privé peuvent concourir. C’est un hold-up sur de l’argent public dont le capital considère qu’il serait mieux utilisé si une partie était convertie en dividendes à des actionnaires.
Quelles conséquences pour le service public, les agent·e·s de la RATP, pour les usagers ?
Est-ce que privatiser une énième entreprise publique sera efficient ? …et bien non ! Commençons aussi par comprendre que la dégradation du service qui s’opère depuis plusieurs mois dans les transports en Île-de-France est la conséquence à la RATP de la préparation brutale de cette privatisation en nivelant par le bas. Très concrètement, cela se traduit par une dégradation sensible des conditions de travail de la majorité des conductrices et conducteurs de bus, des contrôleuses et contrôleurs, des mainteneurs, des agent·e·s de sécurité et administratifs. L’augmentation des amplitudes horaires, la suppression de 6 jours de repos par an, les inégalités salariales à temps de travail équivalent entre agent·e·s entré·e·s avant ou après le 1er janvier 2024 ou encore de défaut de formation pour les jeunes embauché·e·s… Pour répondre à un dogme libéral, ce massacre social est le désastreux bilan. Le nombre de démissions exponentielles de ces mois passés démontre l’ampleur des dégâts.
Malgré le professionnalisme des collègues, ces dégradations de leurs conditions de travail affectent, de fait, la qualité du service dont parfois la sécurité des usagers est gravement engagée et l’accident évité de justesse.
Et pour les usagers qui galèrent ?
Ce que nous savons aussi, c’est que les dépôts deviendront progressivement la propriété d’Île-de-France Mobilités dont l’opération ne sera pas sans un coût exorbitant que vont devoir supporter les Franciliens et les agents. Pour boucler le budget d’IDFM, la hausse des tarifs d’une part et d’autre part, pour les travailleurs·ses des transports, leurs conditions de travail et salariales seront des variables d’ajustement. Dans ce modèle, les offres les « moins distantes » sont privilégiées et la mise en concurrence consiste d’abord à mettre les salarié·e·s des entreprises de transports en concurrence. La règle du “moins-disant”, encouragée par Île-de-France Mobilités, favorise donc l'abject dumping social.
Nous ne cessons de le rappeler, pour répondre aux besoins des usagers et lutter contre le mal travail des agent·e·s, la concurrence n’est pas la solution, c’est le problème !
Tu disais qu’avec cette privatisation ce sont une double conquête sociale qui est attaquée, peux-tu préciser ?
Ce processus de privatisation est aussi l’occasion pour la direction de l’entreprise de s’attaquer à la démocratie sociale à la RATP. Par un cavalier législatif qu’elle a rédigé elle-même et sans concertation avec les organisations syndicales représentatives, la direction impose le gel des élections professionnelles au minimum pendant 6 ans, alors que le code du travail prévoit un maximum de 4 ans. La démocratie est désormais priée de rester à la porte pour une durée indéterminée puisque la loi ne prévoit pas de date calendaire précise.
Le rassemblement de mardi est le cri de colère des agent·e·s, de la CGT-RATP qui a aussi dans son ADN la défense du service public, de chacune et de chacun des usagers venus dire aux administrateurs d’IDFM qu’ils doivent en urgence surseoir à ce processus « d’ouverture à la concurrence ».
Quelles suites données à la mobilisation ?
Jusqu’à aujourd’hui, la présidente Valérie Pécresse refuse d’engager une étude d’impacts sur les conséquences économiques, sociales et environnementales. Elle ne veut pas voir non plus qu’il y a des alternatives dans le texte de la commission européenne sur lequel elle se base et reconnaître qu’il n’y a aucune obligation à privatiser la RATP. Accuser l’Europe, c’est pratique mais c’est lâche ! Y compris qu’à ce jour, il n’y a jamais eu d’enquête publique pour éviter ce futur séisme qui dépasse l’Île-de-France. Rappelons-le, notre région pèse 31 % dans le PIB national. Quand les transports vont mal dans la région capitale, c’est toute l’économie du pays qui va mal !
Il y a donc toutes les raisons d’aller vers un moratoire car les conditions ne seront tout simplement pas réunies pour retrouver des transports publics de qualité, fréquents et fiables avec un model basé sur de la concurrence.