Traçage numérique, le capitalisme de la surveillance avance masqué

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Comme dans toutes les crises et en partant de problèmes réels, il y a la
tentation pour le pouvoir politique en place de restreindre les droits
et libertés publiques bien au-delà des mesures sanitaires légitimes, et
de mettre en place des systèmes surdimensionnés de surveillance de la
population. Dans ce contexte les grands acteurs des services et de
l’industrie du sécuritaire font feu de tout bois pour imposer et vendre
leur solution technologique. Ils s’appuient sur l’idéologie libérale du
solutionnisme technologique : c’est-à-dire qu’au lieu de chercher des
solutions et d’affronter la crise dans un cadre politique collectif, on
va chercher à dépolitiser les questions, à interdire le débat démocratie
et mettre en avant des technologies qui vont faire tout reposer sur la
responsabilité individuelle des personnes.
Ce processus a été à l’œuvre à la suite des attentats de 2015. Il a
conduit à l’État d’urgence permanent, la dépolisation des questions sous
couvert de « guerre au terrorisme » (ce qui ne veut rien dire) et de «
essayer de comprendre c’est excuser, justifier,… », tout en investissant
massivement dans des technologies de surveillance dont l’efficacité
globale est fortement à discuter.

 

D’une certaine manière le même scénario se reproduit autour de
l’épidémie de Covid-19 et en particulier des perspectives de
déconfinement. Ainsi au mépris de l’esprit du règlement général sur la
protection des données personnelles, Orange a traqué numériquement les
parisiens qui avaient fuit à la campagne alors qu’une simple mesure de
la baisse du nombre de connexion aux antennes relais de la capitale
aurait suffit pour arriver à la même évaluation. Outre l’opération de
culpabilisation de comportements individuels critiquables pour mieux
cacher l’incurie de l’action gouvernementale, avec cette opération de
traçage de masse, Orange s’est positionné sur le marché potentiel des
applications numériques de surveillance liées au déconfinement, et bien
sur il n’est pas le seul, Google et Apple proposent aussi leur solution.



Pour valoriser une opération de traçage numérique des personnes
atteintes du covid19, on met en avant la réussite de Singapour dans la
maîtrise de la pandémie. C’est oublier un peu rapidement que cette
réussite repose essentiellement, non pas sur le traçage numérique mais
sur un dépistage massif, une prise en charge systématique en quarantaine
des personnes positives, un port du masque généralisé, et un nombre de
lits y compris de réanimation par habitant très supérieur à la France.
Ce qui a impliqué des moyens humains et logistiques extrêmement
important et qui sont les grands absents de la réflexion et l’action
(sic) gouvernementale française .
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pas nécessaire de compléter cet
arsenal par des outils numériques, mais ceux-ci doit respecter
strictement le principe de la protection des données personnelles et du
consentement. Ce qui implique de ne pas centraliser les données. En
outre, il ne faut pas confondre traçage nécessaire des contacts d’une
personne infectée par le virus, ce qui demande des moyens humains en
termes d’enquêteurs formés et traçage numérique de la population.

Ainsi, pour reprendre l’exemple de Singapour, le traçage numérique s’est
organisé autour d’une application sur smartphone permettant de garder
une trace des personnes croisées à faible distance dans la journée et
qui utilisent aussi l’application. La détection de ces individus se fait
par « bluetooth  » donc sans avoir recours aux données de
géolocalisation. Si après un test ou des symptômes significatif, vous
apprenez que vous avez le covid 19 vous pouvez alors prévenir les
personnes rencontrées afin qu’à leur tour elles se mettent en
quarantaine et se fassent tester. Reste que le gouvernement singapourien
avait promis la publication du code source de l’application sous licence
logiciel libre, or pour l’instant il ne l’a pas fait, ce qui pose un
grave problème de confiance. De plus des doutes existent sur
l’imprécision de ce dispositif technologique qui peut à la fois gérer
des faux positifs et des faux négatifs.

En France, une telle application pourrait être acceptable que si elle
respecte le consentement individuel et la protection des données
personnelles, elle protège le secret médical. Son usage devra être
limité dans le temps et l’espace, et son code sous licence logiciel
libre. Les données ne devraient pas être centralisées et être effacées
définitivement au bout du temps d'incubation de la maladie. Elle ne doit
être en aucun cas un outil de relégation social et de discrimination.
Elle ne peut être qu’un complément résultant d’un choix volontaire et
individuel aux mesures fondamentales présidant au déconfinement et non
un cache misère technologique de l’absence de tests, de masques, de
structures d’accueil des personnes en quarantaine…

Il ne s’agit pas refuser des mesures exceptionnelles justifiées et
proportionnées mais la condition de l’efficacité et de la réussite de
telles mesures sont qu’elles soient consenties car exceptionnelles et
limités dans le temps et l’espace. Or les systèmes de traçage numérique
proposés font courir de graves risques démocratiques pour la société
française et cela pour une utilité sanitaire faible voire nulle. Si
notre pays est en situation particulièrement difficile face à cette
pandémie, il ne le doit pas à un excès de démocratie et de transparence
mais au contraire au refus de la démocratie sociale et de l’intervention
citoyenne collective. Les enjeux de santé publique comme ceux du
numérique et de la donnée ne sont pas technocratiques, ils sont politiques.
Plutôt que de prendre la voie libérale de solutionnisme technologique –
tracer, gérer, culpabiliser individuellement, dénoncer à la vindicte
populaire les moutons noirs – qui revient à privilégier le capital au
sens propre du termes, les communistes font le choix de l’humain, de la
solidarité, et du respect de chacune et chacun. Tisser et promouvoir des
réseaux de solidarité avec les livreurs, tous les travailleurs des
services publics, les privés d’emploi et de revenus, les migrants, les
sans-abris, les soignants,... augmenter le nombre de lits à l’hôpital,
des masques pour toutes et tous, des tests massifs afin de connaître son
état pour prendre soin de soi-même et de son entourage, en nous faisant
confiance les-unes les-autres, voilà la seule stratégie gagnante face au
virus. Cela passe bien sur à terme à l’opposé de la startup-nation par
une renaissance industrielle de notre pays dans tous les domaines.


Yann Le Pollotec, responsable de la Commission révolution numérique du PCF

 

Une vidéo décrypte le projet européen Indect. Pour la voir bouton.jpg ou sur le visuel