TRIBUNE « Nous appelons à des sanctions internationales immédiates en cas d’annexion du tiers de la Cisjordanie par Israël »

Dommages « irréparables »

Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, ainsi que le premier ministre Mohammad Shtayyeh, ont vivement réagi à ce calendrier d’annexion dès son annonce. M. Abbas a envisagé de suspendre les accords sécuritaires et économiques d’Oslo, ce qui aurait évidemment des conséquences très graves sur la solution à deux Etats, ainsi que sur les droits du peuple palestinien.

Au sein même de la société israélienne, ce projet est très loin de faire l’unanimité. Samedi 25 avril, deux mille personnes, en respectant les distances de sécurité en pleine pandémie, ont manifesté à Tel-Aviv leur opposition à cette annexion ainsi qu’au gouvernement d’union nouvellement formé, accusé d’encourager la corruption et d’éroder la démocratie. Même Yair Lapid, ancien ministre de M. Netanyahu, chef d’un parti centriste et ancien allié de Benny Gantz, s’est fermement opposé à ce plan, avertissant que les dommages causés seraient « irréparables ».

L’ONG israélienne B’Tselem, qui lutte pour la défense des droits humains dans les territoires occupés et qui milite contre l’occupation, a rappelé, par la voix de son porte-parole Amit Gilutz, que cette annexion existait déjà de facto et qu’elle ne constituait qu’une volonté de légitimer une situation déjà existante et dramatique pour les populations palestiniennes.

Plus alarmant encore, de hauts responsables des milieux sécuritaires israéliens ont également sonné l’alerte contre ce projet. Ainsi, généraux et ex-directeur du Mossad ont mis en garde contre la menace directe que ferait peser une telle annexion pour la sécurité nationale d’Israël.

Projet dangereux

Nous rappelons qu’un effondrement de l’Autorité palestinienne serait de nature à compromettre sérieusement tout processus de paix. Tout aussi grave, la remise en cause des accords avec l’Egypte, qui joue un rôle clé dans la lutte contre l’organisation Etat islamique dans le Nord-Sinaï, et la Jordanie, où la communauté palestinienne est nombreuse, pourrait attiser davantage les tensions dans la région.

Face à cette menace imminente, nous appelons à une reconnaissance par les 27 Etats membres de l’Union européenne de l’Etat de Palestine. A défaut, cette reconnaissance doit pouvoir se faire de manière unilatérale par la France

Nous nous associons aux réactions en opposition à ce projet dangereux en pleine crise sanitaire du Covid-19 qui n’ont pas manqué dans la communauté internationale.

L’Union européenne, qui ne reconnaît pas la souveraineté israélienne en Cisjordanie, a fait savoir par son Haut représentant pour les affaires étrangères Josep Borrell que « toute annexion constituerait une violation grave du droit international ». Contrairement à ce qu’affirme le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo, la décision d’annexer unilatéralement un tiers de la Cisjordanie ne doit pas « revenir à Israël en dernier ressort ».

Une dizaine d’ambassadeurs européens en Israël (Royaume-Uni, Allemagne, France, Irlande, Pays-Bas, Italie, Espagne, Belgique, Danemark, Finlande) ont mis en garde Isräel contre de graves conséquences si les plans d’annexion venaient à être exécutés.

Même la Chine

Les Nations unies, par la voix de leur secrétaire général Antonio Guterres, se sont rapidement prononcées en faveur d’un cessez-le-feu mondial et contre tout acte unilatéral de nature à aggraver les tensions diplomatiques en cette période sans précédent de pandémie. Nickolay Mladenov, coordinateur spécial pour le Proche-Orient, a lui aussi déclaré que ce projet constituerait une « violation grave du droit international ». De toute évidence, l’onde de choc que générerait cette annexion illégale pourrait balayer tous les efforts de paix réalisés jusqu’à présent dans la région.

Au Royaume-Uni, les deux chambres du Parlement ont également sonné l’alerte contre le projet. Près de 130 députés britanniques, conservateurs comme travaillistes, ont ainsi demandé au premier ministre Boris Johnson d’imposer des sanctions économiques à Israël si une telle annexion venait à voir le jour. La Chambre des Lords a, elle aussi, adressé une lettre au gouvernement Johnson en qualifiant sans ambages le plan de « violation du droit international ».

Même la représentation permanente de la Chine auprès de l’ONU s’est dite préoccupée par le projet, reconnaissant qu’il allait à l’encontre du droit international. Sur le vieux continent, le ministre des affaires étrangères irlandais Simon Coveney n’a pas caché son opposition à ce qui constitue une entorse majeure à un principe fondamental : le non-respect de l’interdiction par le droit international, y compris la Charte des Nations unies, de l’annexion de territoires par la force, quels que soient le moment et le lieu où elle se produit, en Europe ou dans le reste du monde.

Nous partageons également la crainte du secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit, qui voit venir un regain de tensions sans précédent dans la région.

L’Union européenne moquée

Il est urgent que la France, l’Union européenne et ses Etats membres passent à l’action pour préserver la solution à deux Etats qui a été encore réaffirmée à l’unanimité (moins une abstention) par le Conseil de sécurité de l’ONU dans sa résolution 2334 du 23 décembre 2016.

Nous saluons la prise de position de notre ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ainsi que de notre ambassadeur auprès des Nations unies, Nicolas de Rivière, pour leurs déclarations à la hauteur des valeurs de notre nation.

La représentation française a en effet menacé de restreindre la nature de ses liens avec Israël si le projet venait à voir le jour. Le chef de la diplomatie a très logiquement fustigé une grave violation du droit international.

Mais, de toute évidence, le gouvernement israélien semble totalement sourd à ces considérations diplomatiques. Comme s’en est réjoui l’ancien conseiller à la sécurité nationale de M. Netanyahou, Jacob Nagel, les « cris d’orfraie » qui ont suivi le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem n’ont pas été suivis de réactions concrètes. Yisrael Katz, chef de la diplomatie israélienne, s’est lui-même allègrement moqué des propos de notre Haut représentant pour les affaires étrangères M. Borell tout en remerciant les diplomaties d’Europe centrale – Hongrie, Autriche, Pologne, Tchéquie et Slovaquie – qui soutiennent le projet.

Un nouveau « bantoustan »

Par conséquent, il devient urgent pour la diplomatie européenne d’aller plus loin pour protéger la paix au Proche-Orient. Parlementaires de sensibilités diverses, nous appelons à des sanctions internationales immédiates en cas d’annexion.

Face à cette menace imminente, nous appelons à une reconnaissance conjointe par les vingt-sept Etats membres de l’Union européenne de l’Etat de Palestine. A défaut, cette reconnaissance doit pouvoir se faire de manière unilatérale par la France.

Nous réaffirmons que la solution à deux Etats est la plus à même de préserver la paix dans la région. L’Etat palestinien ne doit pas devenir un nouveau « bantoustan ». Nous rappelons que la persistance du colonialisme, sous n’importe quelle forme, constitue une violation de la Charte des Nations unies et du droit international.

Nous alertons enfin sur la dangerosité d’une telle annexion alors qu’Israël, l’Autorité palestinienne et le monde entier font face à un contexte de pandémie sans précédent du Covid-19 et doivent plus que jamais s’entraider dans cette lutte inédite contre le virus.

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