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"ORUÇ REIS": espérons que ce nom n'entre pas prochainement dans les livres d'Histoire comme déclencheur d'un conflit armé en Méditerranée orientale ! Il désigne le bateau turc spécialisé dans l'exploration des fonds marins qu'Erdogan a envoyé fin juillet sous bonne escorte -18 bâtiments militaires !- dans les eaux territoriales grecques pour y localiser un gisement de gaz naturel qu'il revendique. Cette provocation délibérée du Président turc s'inscrit dans une stratégie expansionniste de longue haleine. Non content d'occuper militairement le Nord de Chypre depuis 1974, il entend asseoir par la force son statut de puissance régionale, comme on l'a vu en Syrie et en Libye. Dans ce contexte, la découverte récente de réserves potentielles d'hydrocarbures dans cette région méditerranéenne où se mêlent les eaux grecques, chypriotes, turques, libanaises, égyptiennes, israéliennes et syriennes, a fourni à Ankara un nouveau prétexte pour afficher ses ambitions et démontrer sa force.
Ainsi, décidé à faire échec à un projet régional (impliquant la Grèce et la République de Chypre) de construction d'un gazoduc destiné à acheminer une partie de la future ressource vers l'Europe occidentale, Erdogan a , en novembre dernier, conclu avec son allié libyen -qu'il soutient militairement- une entente bilatérale lui permettant d'augmenter de 30 % la superficie de son plateau continental. Ankara (qui ne reconnaît pas le traité international sur le droit de la mer) s'estime dès lors dans son droit en lançant des forages exploratoires au large de Chypre -ce qui a eu lieu dès le début de cette année. Depuis lors, l'engrenage provocation-représailles-surenchère, nourri par les nationalismes, tant en Turquie qu'en Grèce, fait dire à des observateurs avertis que "nous sommes à un moment où tout peut déraper". De fait, à l'incursion de navires de guerre turcs en mer Egée, Athènes répond par l'envoi de ses propres forces armées. Ankara réplique à son tour en provoquant un accrochage avec une frégate grecque et en menaçant de faire "payer le prix fort" à qui s'attaquerait à l' "ORUÇ REIS". À l'accord turco-libyen, la Grèce oppose son propre accord avec l'Egypte censé rendre caduque la pacte concurrent. Aux yeux d'un ex-général turc, qui s'était illustré lors de l'invasion de Chypre en 1974, "le conflit (avec la Grèce) est désormais inévitable"...
Dans pareil contexte -où les contentieux vieux d'un siècle remontent à la surface et où les ultras des deux pays s'époumonent à jeter de l'huile sur le feu- , plutôt que l'envoi (pour des manœuvres communes avec la Grèce à quelques kilomètres des côtes turques) de deux chasseurs Rafale, de la frégate Lafayette et du porte-hélicoptères Tonnerre, la France serait mieux inspirée par la recherche, avec ses alliés de la région, ses partenaires européens et dans le cadre des Nations-Unies, des voies et des moyens de la désescalade avant de véritables négociations internationales s'attaquant à toutes les sources de tensions en Méditerranée orientale.
(Cette chronique est publiée dans l’Humanité-Dimanche du 20/8/2020)